Gens de chez nous aux amériques

Par Jean-Christophe Orticoni

Les anciennes minutes notariales constituent une mine de renseignements pour les historiens et les généalogistes. Les pages remplies par Antonio Antonelli, Notaire royal et Tabellion de Santa Reparata di Balagna nous parvenant intactes après deux siècles et demi nous offrent une vision précise de ce que furent le quotidien et les trajectoires des premiers habitants de L’Ile-Rousse.

Pour preuve, l’acte du 29 juillet 1785, portant sur le registre le numéro 52 et attestant de ce qu’à cette époque de la fondation de la cité, des gens de chez nous avaient « fait les Amériques ». Ils s’inscrivaient au cœur de ce vaste mouvement des conquêtes des ressources du Nouveau Monde dans l’orbite de la Monarchie espagnole. En effet, en ce jour d’été de l’an de grâce 1785, le brave et appliqué notaire de village enregistre les déclarations du Sieur Domenico Antonmattei, natif de Morsiglia au Cap Corse, habitant et domicilié à L’Ile-Rousse dans la paroisse de la Très Sainte Conception, et du noble Sieur Docteur Don Agostino Caraccioli, un ecclésiastique sexagénaire, originaire des villages de Morsiglia et de Monticello, venus lui raconter une bien étrange histoire : « Que se trouvant il y a plusieurs années dans la cité de Lima au Royaume du Pérou, possession du Roi d’Espagne, en compagnie du Sieur Giacomo Giacomini de Porrata de Morsiglia, ils apprirent de celui-ci qu’il avait dans la cité de Lima deux filles et un fils, tous trois naturels, et qu’ils les faisaient alimenter et les entretenaient, faisant face à leurs besoins, de même qu’à ceux de la mère de ces enfants et d’une domestique »… Et les témoins de continuer d’expliquer qu’ils avaient monté jadis au Pérou une société de négoce, laquelle avait été transférée depuis à Cadix en Espagne. Tous avaient embarqué depuis le port d’El Callao à bord du navire de leur propriété « San Juan Bautista » rapatriant le produit d’années de labeur, un vrai trésor constitué de 8.000 pièces de huit réaux espagnols. Sur place était demeuré simplement un membre de la famille de Caraccioli, Pieromaria, frère cadet du Docteur Don Agostino pour servir de tuteur aux enfants créoles du magnat Giacomini de Porrata. La motivation essentielle de cette déclaration faite à L’Ile-Rousse est la préservation des droits des enfants de Giacomini lorsque d’âpres disputes ont lieu entre les nombreux bénéficiaires, religieux compris, du testament de ce dernier qui est mort dans sa tour de Stanti à Morsiglia deux décennies auparavant, le 8 octobre 1765 !

La personnalité de Domenico Antonmattei est intéressante à plus d’un titre pour l’histoire locale. Cet homme de ressources sera le deuxième maire de L’Ile-Rousse, de 1794 à 1796, à l’époque du Royaume Anglo-corse. Les actes nous apprennent encore que c’est dans sa maison, sise rue de la Marine (aujourd’hui rue Paoli) que fut dressé par le notaire Antonelli le 26 avril 1781 l’acte signé par 37 notables de L’Ile-Rousse demandant à l’Evêque d’Aleria un curé pour notre ville.

Mais qui était véritablement ce notable ? Domenico Antonmattei était en fait un « corse américain » qui avait fait dans les colonies du Roi d’Espagne pas mal de commerce et peut-être un peu de piraterie. Né à Morsiglia en 1735, il avait rejoint aux Amériques alors qu’il n’avait que 17 ans son oncle, le Capitaine Santo Antonmattei, un marin corsaire que sa fortune allait mettre à la hauteur de recevoir du Roi Ferdinand VI d’Espagne le titre de noblesse d’Hidalgo, l’équivalent de la désignation française de Gentilhomme. Une fois les avoirs américains de la famille rapatriés en Europe, Domenico plutôt que de se fixer à Cadix avait préféré rentrer sur sa terre natale en pleine ère paoliste. Investi de la confiance du Général, Antonmattei se vit confier par lui toute la direction du port naissant de Lisula, importante responsabilité au vu de l’enjeu fixé dans le contexte politico-économique de l’époque.

Le capitaine marin rentré des Amériques devait ancrer sa famille en Balagne en épousant une héritière, Cecilia de Fabiani, fille du Gentilhomme Orso Giacomo de Fabiani, le seigneur du Palazzu de Monticello. La naissance du fils du couple, Matteo Antonmattei, est inscrite sur le registre le plus ancien de L’Ile-Rousse, à la date du 16 janvier 1774. Antonmattei ayant traversé les périodes agitées des révolutions de Corse et de la Révolution Française rendit le dernier soupir dans sa maison de L’Ile-Rousse, à l’âge de 76 ans, sous l’Empire en 1811. Dommage qu’un tel personnage n’ait pas pris le temps pour rédiger ses mémoires.

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